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Peinture
La Vierge, le chancelier et la montagne
Philippe Joutard dans mensuel 468
daté février 2020 - 545 mots Gratuit
La Vierge du chancelier Rolin est novatrice en histoire de l'art, notamment par le réalisme de la représentation.
Cette peinture est aussi pionnière dans l'expression d'une sensibilité religieuse. On y voit un simple laïc en relation avec la Vierge et l'Enfant Jésus qui le bénit. Certes, le chancelier est à genoux, en prière, mais, à la différence de tableaux antérieurs, sa taille n'est pas inférieure à celle des personnages sacrés ; il est vêtu d'une somptueuse robe comme la Vierge et apparaît dans une relative égalité avec elle. Ici, nul besoin des saints ou des prêtres pour être en contact direct avec le Christ et sa mère. Rien de surprenant, puisque Jan Van Eyck, également au service de Philippe le Bon, est un adepte de la « devotio moderna ». Ce mouvement spirituel, né à la fin du XIVe siècle, sur les terres du duc de Bourgogne, ne veut pas séparer vie active et contemplation ; il affirme la possibilité d'un rapport personnel et affectif avec le Christ, insistant sur la dimension humaine de celui-ci. Ce tableau est donc la préfiguration de l'humanisme chrétien du premier XVIe siècle.
1 La loggia Derrière la scène principale, à travers trois arcades qui renvoient à la Trinité, on distingue trois arrière-plans qui ont tout autant de portée symbolique que la scène principale : d'abord la loggia, jardin clos qui symbolise aussi la Vierge. On y reconnaît deux oiseaux, la pie, symbole de la mort, et le paon, symbole de la vie. On remarque aussi deux petits personnages qui, pour certains commentateurs, représentent le peintre et son frère Hubert. Ces deux personnages regardent l'extérieur et non l'intérieur, ce qui révèle bien l'importance de ce paysage pour l'interprétation générale de l'oeuvre.
2 Ville céleste Sous la loggia apparaît une ville. Sur la gauche, du côté du chancelier Rolin, le quartier profane des activités quotidiennes ; sur la droite, du côté de la Vierge et de l'Enfant Jésus, le quartier religieux. On peut y reconnaître plusieurs édifices familiers du peintre comme la cathédrale de Liège. Entre les deux, un fleuve qui, pour un lecteur assidu de la Bible, ne peut être que le Jourdain, frontière de la Terre promise, et lieu du baptême du Christ. Quant à la ville, il s'agit évidemment de la Jérusalem céleste.
3 Un ex-voto Les deux rives du fleuve sont reliées par un pont. Au milieu de ce pont une croix d'importance majeure : le doigt du Christ qui bénit le chancelier est aussi pointé vers cette croix. Il s'agit de l'exacte représentation de celle qui fut dressée à Montereau en expiation, là où fut assassiné en 1419 Jean sans Peur, le père de Philippe le Bon, par ordre du dauphin le futur Charles VII. En 1435 le chancelier Rolin vient de négocier le traité d'Arras : grâce à une série de concessions, Charles VII fait alliance avec Philippe le Bon qui abandonne le roi d'Angleterre. L'oeuvre apparaît ainsi comme un ex-voto, c'est-à-dire un acte de reconnaissance envers le Christ pour avoir aidé Rolin dans sa réussite.
4 Haute montagne Le fond montagneux a la même importance symbolique que les deux autres arrière-plans : le doigt du Christ, par-delà la croix, désigne aussi les sommets enneigés. Curieusement, personne ne s'est intéressé au sujet ; c'est pourtant la première représentation réaliste de la montagne, tout aussi novatrice que le dialogue du laïc avec le Christ. On y distingue la même minutie que dans le reste de l'oeuvre, avec le chevauchement des crêtes qui n'est pas sans rappeler la vue des Alpes depuis Lyon. Là encore, la Bible donne la justification de cette présence : on songe d'abord à la situation de Jérusalem dans le psaume 125 : « Jérusalem, les montagnes l'entourent - ainsi le Seigneur entoure son peuple - maintenant et pour toujours. » Mais, plus significatif, dans Isaïe, LII, 7-10, on lit : « Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce la paix, le me...
Philippe Joutard dans mensuel 468
daté février 2020 - 545 mots Gratuit
La Vierge du chancelier Rolin est novatrice en histoire de l'art, notamment par le réalisme de la représentation.
Cette peinture est aussi pionnière dans l'expression d'une sensibilité religieuse. On y voit un simple laïc en relation avec la Vierge et l'Enfant Jésus qui le bénit. Certes, le chancelier est à genoux, en prière, mais, à la différence de tableaux antérieurs, sa taille n'est pas inférieure à celle des personnages sacrés ; il est vêtu d'une somptueuse robe comme la Vierge et apparaît dans une relative égalité avec elle. Ici, nul besoin des saints ou des prêtres pour être en contact direct avec le Christ et sa mère. Rien de surprenant, puisque Jan Van Eyck, également au service de Philippe le Bon, est un adepte de la « devotio moderna ». Ce mouvement spirituel, né à la fin du XIVe siècle, sur les terres du duc de Bourgogne, ne veut pas séparer vie active et contemplation ; il affirme la possibilité d'un rapport personnel et affectif avec le Christ, insistant sur la dimension humaine de celui-ci. Ce tableau est donc la préfiguration de l'humanisme chrétien du premier XVIe siècle.
1 La loggia Derrière la scène principale, à travers trois arcades qui renvoient à la Trinité, on distingue trois arrière-plans qui ont tout autant de portée symbolique que la scène principale : d'abord la loggia, jardin clos qui symbolise aussi la Vierge. On y reconnaît deux oiseaux, la pie, symbole de la mort, et le paon, symbole de la vie. On remarque aussi deux petits personnages qui, pour certains commentateurs, représentent le peintre et son frère Hubert. Ces deux personnages regardent l'extérieur et non l'intérieur, ce qui révèle bien l'importance de ce paysage pour l'interprétation générale de l'oeuvre.
2 Ville céleste Sous la loggia apparaît une ville. Sur la gauche, du côté du chancelier Rolin, le quartier profane des activités quotidiennes ; sur la droite, du côté de la Vierge et de l'Enfant Jésus, le quartier religieux. On peut y reconnaître plusieurs édifices familiers du peintre comme la cathédrale de Liège. Entre les deux, un fleuve qui, pour un lecteur assidu de la Bible, ne peut être que le Jourdain, frontière de la Terre promise, et lieu du baptême du Christ. Quant à la ville, il s'agit évidemment de la Jérusalem céleste.
3 Un ex-voto Les deux rives du fleuve sont reliées par un pont. Au milieu de ce pont une croix d'importance majeure : le doigt du Christ qui bénit le chancelier est aussi pointé vers cette croix. Il s'agit de l'exacte représentation de celle qui fut dressée à Montereau en expiation, là où fut assassiné en 1419 Jean sans Peur, le père de Philippe le Bon, par ordre du dauphin le futur Charles VII. En 1435 le chancelier Rolin vient de négocier le traité d'Arras : grâce à une série de concessions, Charles VII fait alliance avec Philippe le Bon qui abandonne le roi d'Angleterre. L'oeuvre apparaît ainsi comme un ex-voto, c'est-à-dire un acte de reconnaissance envers le Christ pour avoir aidé Rolin dans sa réussite.
4 Haute montagne Le fond montagneux a la même importance symbolique que les deux autres arrière-plans : le doigt du Christ, par-delà la croix, désigne aussi les sommets enneigés. Curieusement, personne ne s'est intéressé au sujet ; c'est pourtant la première représentation réaliste de la montagne, tout aussi novatrice que le dialogue du laïc avec le Christ. On y distingue la même minutie que dans le reste de l'oeuvre, avec le chevauchement des crêtes qui n'est pas sans rappeler la vue des Alpes depuis Lyon. Là encore, la Bible donne la justification de cette présence : on songe d'abord à la situation de Jérusalem dans le psaume 125 : « Jérusalem, les montagnes l'entourent - ainsi le Seigneur entoure son peuple - maintenant et pour toujours. » Mais, plus significatif, dans Isaïe, LII, 7-10, on lit : « Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce la paix, le me...